Doctrine Outlaw
Ce qui suit n’est pas une proclamation exhaustive de tous les principes d’entraînement qui composent la méthode Outlaw et a vocation à être complété ultérieurement.
– La méthode conjuguée limitée (Limited Conjugate Method ou LC)
Lorsque j’ai commencé à me plonger dans les textes sacrés (désolé, j’adore vraiment Louie) de Louie Simmons, j’ai commencé à comprendre qu’avec une programmation calculée, le CrossFit pouvait être orienté de manière à ressembler grandement à une version à intensité élevée de la méthode conjuguée (Conjugate Method). Je vais vous donner un exemple…
Dans ma salle, nous suivons des cycles de 4, 6 et 12 semaines. Nous procédons ainsi pour notre clientèle de base parce que cela nous donne un objectif précis et offre à chaque nouvelle vague de clients la possibilité de comprendre la finalité du cycle lorsqu’il se présente à nouveau. Un cycle de 6 semaines est consacré essentiellement à un mouvement principal d’haltérophilie (épaulé-jeté ou arraché), un mouvement principal de gymnastique (travail aux anneaux, travail en appui tendu renversé ou travail à la barre de tractions) et une forme ou une autre de vague de pourcentages en squat. Ensuite, je programme au moins une partie de nos met-cons de manière à renforcer l’un des éléments sur lesquels nous travaillons. Si c’est un cycle de marche sur les mains, je pourrais prévoir des touchés d’épaule dans le cadre d’un WOD, ou si c’est une vague d’arraché, inclure des arrachés force dans un met-con, ou quelque chose du genre. Bref, revenons-en à mon exemple…
Récemment, j’ai programmé un cycle d’épaulé-jeté en ayant un objectif particulier à l’esprit. Nous avions un groupe d’une quinzaine de personnes (je parle ici de membres lambdas, pas de compétiteurs CF) qui avaient entamé un cycle Wendler de 12 semaines, et j’ai voulu voir à quel point un cycle de « méthode conjuguée limitée » (LC) donné pouvait avoir des effets différents par rapport à un cycle de force athlétique donné. Histoire de rendre l’expérience encore plus intéressante, j’ai décidé d’essayer quelque chose qui me trottait dans la tête depuis un certain temps, à savoir ne programmer AUCUN soulevé de terre, uniquement des épaulés puissance et des épaulés pour le tirage depuis le sol et des squats lourds pour la mise en charge musculo-squelettique. Nous avons fait une tripotée d’épaulés en suspension (avec départ arrêté) afin de renforcer l’extension du rachis avec une charge placée sous les omoplates, et nous avons suivi d’assez près la table de Prilepin pour ce qui est du volume d’entraînement.
Je suis certain que vous voyez où je veux en venir. Nous avons testé 61 personnes à la fin des cycles menés en parallèle. Ceux qui avaient fait 12 semaines de Wendler ont battu leur record personnel de 8 kg en moyenne, chiffre qui, à mon avis, était faussé par des perfs de plus de 35 kg réalisées par deux personnes qui n’avaient quasiment jamais fait de soulevé de terre avant le test initial (et dont une avait pris près de 7 kg en poids de corps au cours du cycle). Dans le groupe 5/3/1, SIX personnes ont fait une contreperformance et une poignée n’ont pas enregistré le moindre progrès. Dans le groupe LC, TOUS LES MEMBRES SANS EXCEPTION ont amélioré leur record personnel de 18 kg en moyenne chez les hommes et 8 kg en moyenne chez les femmes. Dans ce groupe, les 33 hommes évalués ont passé des barres à 180 kg en moyenne. En MOYENNE, putain. Je vous parle là de types ordinaires. Pas un d’entre eux n’appartenait au groupe de compétiteurs CF de la salle. CINQ mecs ont soulevé plus de 225 kg. Ma salle n’est pas énorme et nous n’avions pas une flopée d’anciens athlètes de haut niveau sous la main.
Au cas où vous vous posiez la question, je pense que le groupe LC a eu plus de succès parce que la nature du programme 5/3/1 ne permet pas de développer de la vitesse en début de soulevé de terre afin d’arracher la barre du sol. D’un autre côté, si on mesure la vitesse de déplacement de la barre, celle-ci se déplace environ 40 % plus vite depuis le sol lorsqu’on réalise un épaulé puissance que lorsqu’on réalise un soulevé de terre avec une charge similaire (vous pouvez aller consulter les études sur ce sujet ; nous avons aussi fait nos propres analyses). Par conséquent, si la majorité de votre tirage depuis le sol est réalisé sous forme d’épaulés puissance (ou d’épaulés) et dans la même plage de poids que le seraient vos séries de soulevé de terre (50 % à 70 % de votre maxi au SDT), alors vous exercez UNE FORCE PLUS IMPORTANTE chaque fois que la barre quitte le sol, et vous touchez le Saint Graal des séances d’effort dynamique (DE) de la méthode Westside. Le groupe 5/3/1 enchaînait les séries à poids élevé mais ils ralentissaient au fur et à mesure des répétitions, ou en tout cas ils ne devenaient pas plus véloces. Même lorsque les membres du groupe LC rataient un épaulé (c’est proprement hallucinant quand on y pense), ils amélioraient leur vitesse de démarrage et donc, lorsque le moment est venu de tester leur charge maximale, ont pu exercer une force de manière plus efficace.
Je suis convaincu qu’avec une orientation appropriée, une version « conjuguée limitée » du CrossFit est un moyen incomparable d’atteindre les objectifs de l’entraîneur et du programme, quels qu’ils soient.
J’imagine que vous vous demandez pourquoi je parle de méthode conjuguée « limitée ». C’est avant tout parce qu’en règle générale, en CrossFit, nous avons un nombre limité d’exercices à notre disposition. Je ne vais PAS programmer du board press ou des extensions triceps pour aider à améliorer votre développé couché. Je vais inclure du DC dans le programme afin de développer la force et en particulier renforcer le verrouillage, mais il y a des limites à ce que je peux tirer de la véritable méthode conjuguée sans prendre trop de risques. J’aime encore programmer des mouvements qui vous mettent la misère, comme dirait Coach Glassman, et on ne peut pas exploiter la méthode conjuguée à fond tout en respectant ce principe.
– Modèle
J’ai toujours aimé les chiffres. J’ai aussi un assez grave problème de déficit d’attention. À une époque, à l’âge de 14-15 ans, j’étais le Rain Man de la NBA : je connaissais les stats de tous les joueurs sur 3 ou 4 saisons. Par contre… impossible de terminer mes devoirs de géométrie ou de rester attentif plus de 3 minutes d’affilée en cours. Bref, si vous me présentez un sujet que je kiffe un tant soit peu, ça va m’obséder jusqu’à ce que je le connaisse dans les moindres détails.
Lorsque j’ai commencé à élaborer des WOD axés sur la compétition, je n’avais pas vraiment de système en tête. Je savais seulement qu’il fallait que ce soit des choses que CFHQ programmerait et que ce soit difficile. Nous avions aussi expérimenté des met-cons superlourds en réaction aux épreuves des Games de 2008, en particulier le squat-Grace lourd final (qui m’avait laminé). Je venais de créer King-Kong, bien que ce fut une sorte d’anomalie, et des choses comme Transformers commençaient à faire leur apparition. Je passais aussi énormément de temps à discuter entraînement avec mon pote Steve (je ne divulguerai pas son nom de famille—oui, il fait ce genre de boulot) qui avait pratiqué la force athlétique à haut niveau et était aussi maniaque d’entraînement que moi. Steve avait déjà adopté une sorte de philosophie selon laquelle « tout ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être surfait ». Pour son premier WOD CrossFit, Steve a eu droit à Fran. Il ne savait pas faire des tractions « kipping » et n’avait jamais fait de thruster. Il a bouclé la séance en 3:06, avec des tractions strictes en amplitude complète, et il est parti courir 3 km après pour « transpirer un peu ».
Un jour où j’étais passé chez lui, Steve m’a prêté tous ses livres sur l’entraînement. Parmi eux se trouvait, vous l’aurez deviné, le Westside Barbell Book of Methods. Cela faisait des années que j’étais une sorte de « lurker » de Westside tout en gardant mes distances parce que je me considérais comme un « préparateur physique » (autrement dit, un mec intelligent) et non un « powerlifter bourrin » (autrement dit, un imbécile avec une ceinture de force). Lorsque j’ai commencé à lire le Book of Methods, je me suis rendu compte à quel point c’était un putain de coup de génie (je vous rappelle que j’adore les chiffres), et je suis immédiatement devenu obsédé par ce système. J’ai essayé de tout programmer en me fondant sur la table de Prilepin et j’ai réfléchi aux moyens d’utiliser les principes de l’effort dynamique dans des WOD sans se prendre la tête avec les élastiques et les chaînes. Nous avons aussi lancé la tradition des « lundis maxi », qui sont devenus l’une des marques de fabrique de notre salle. En gros, je me suis mis à programmer sur la base de la méthode conjuguée limitée.
Cela fait maintenant un peu plus de trois ans que je programme l’entraînement de compétiteurs CF en essayant de conserver autant d’éléments que possible des enseignements que j’ai tirés des méthodes Westside. J’ai aussi ajouté un peu de méthode bulgare, des vagues de périodisation traditionnelle et non traditionnelle axées sur le seuil lactique et l’adaptation au volume, un peu de travail linéaire en pourcentages à la Wendler, des variations de tempo à la Poliquin, et enfin des variantes à plus savoir qu’en foutre de mon exercice préféré : le squat barre libre.
J’aimerais aussi ajouter qu’en ce qui concerne la partie de ce programme consacrée à l’augmentation pure et simple de la capacité de travail, rien ne supplantera jamais les met-cons comme on en trouve sur CrossFit.com. Ils forment la base du programme et occuperont une place grandissante à mesure que nous avancerons dans la saison. Je vous mets au défi de me montrer quelque chose de plus horrible (dans le bon sens du terme) que Fran, Helen ou n’importe quel autre couplet ou triplet qui représente une charge de travail telle que rien ne justifie qu’on s’arrête mais qu’on se demande après coup pourquoi on s’est infligé ça. En ce qui concerne les met-cons, je n’ai AUCUNE intention de réinventer la roue. C’est mission impossible. Un met-con de 5 à 10 minutes suffisamment bien conçu pour ne pas obliger l’athlète à faire des pauses est la chose la plus merveilleuse du monde de l’entraînement. Mon but est simplement de former des athlètes capables de réaliser rapidement et avec efficience n’importe quelle combinaison d’exercices que CFHQ pourrait flanquer dans cette merveille de 10 minutes.
Une fois que vous avez appliqué la méthode conjuguée limitée à tous les aspects de la programmation, vous pouvez commencer à élaborer des WOD qui tendent vers un objectif plus large. En l’occurrence, l’objectif est de se préparer à des compétitions de CrossFit et à la saison des CrossFit Games. J’emploierais exactement le même système et le même modèle quel que soit l’objectif visé par un athlète, en fonction des exigences de sa saison sportive. Les charges et le volume d’entraînement évoluent à mesure qu’on se rapproche de la saison de compétition, puis reviennent au niveau hors-saison. Il y a quelques semaines, Brandon (Phillips 1) m’a dit, « On est hors-saison. On devrait faire juste assez de met-cons pour garder la niaque. » Il a tout à fait raison. Voici en gros ce que nous faisons en ce moment :
À partir de 4 semaines après les Games jusqu’à 4 semaines avant le début de l’Open : C’est pendant cette période qu’on se construit. Si vous avez peur de perdre la « caisse » en vue d’une compétition locale, il faut revoir vos priorités. J’ai réduit le volume pour veiller à ce que le développement de la force, de la puissance et de la technique ne soit pas ralenti. Nous travaillons sur les mouvements de gymnastique les plus avancés dont nous auront besoin, aussi souvent que possible, et nous nous employons à atteindre un niveau de virtuosité en haltérophilie (à des fins de développement athlétique général). Ajoutez de bonnes vieilles séances de ouf façon CrossFit.com, des mouvements traditionnels avec et sans barre pour progresser globalement en force, et enfin appliquez la méthode conjuguée limitée qui permet de réguler le tout à merveille.
Du début de l’Open jusqu’à 4 semaines avant les Regionals : À suivre…
– Gymnastique haltérophile (Barbell Gymnastics)
Le simple fait de pratiquer les mouvements d’haltérophilie enseigne à l’athlète comment exercer une force considérable. Les capacités extraordinaires des haltérophiles découlent en partie du fait qu’ils ont appris à activer de manière efficace un plus grand nombre de fibres musculaires plus rapidement que ceux qui n’ont pas suivi cet entraînement. Cela revêt un intérêt crucial pour les athlètes qui doivent conserver un poids de corps relativement faible pour leur sport mais qui ont besoin d’apprendre comment exercer une force plus importante. – Arthur Dreschler 2
Cette citation, c’est du lourd. J’adore l’haltérophilie; j’adore aussi la force athlétique. Cependant, les progrès réalisés en force absolue grâce aux exercices de force athlétique se font au prix d’une sollicitation du système nerveux central bien plus longue que lors des mouvements d’haltéro. La force athlétique est donc plus éprouvante pour l’athlète et entraîne une fatigue plus importante dont il est plus difficile de se remettre. C’est pourquoi nous faisons de l’haltérophilie – beaucoup d’haltérophilie. Le fait de pratiquer ces mouvements accélère le développement de la force, renforce la souplesse et la mobilité et permet d’obtenir un niveau de coordination générale inégalé en dehors (vous l’aurez deviné) des véritables sports. Je peux balancer 20 à 30 mouvements en effort maximal (≥ 90 %) par semaine, comme nous le faisons chaque semaine, sans que les athlètes ressentent ni fatigue du SNC ni douleurs importantes. Nos mouvements de transfert technique et secondaires visent tout simplement à travailler les points faibles que j’ai décelés chez la plupart des athlètes (les chutes d’arraché nuque, ça vous dit quelque chose ?).
L’autre qualité inhérente de l’haltérophilie, c’est qu’elle figure dans toutes les compétitions de CF. Avez vous déjà, UNE FOIS dans votre vie, participé à une compétition qui ne comportait aucun mouvement technique ou semi-technique d’haltérophilie ? Vous savez ce qu’on ressent lorsqu’on fait Grace alors qu’on a un épaulé-jeté à plus de 135 kg ET qu’on est en super forme ? On a l’impression de jouer avec des poids pour enfants.
– Gymnastique véritable
Combien de kettlebell swings avez-vous réalisés au cours de votre vie ? Trouvez-vous qu’il s’agit d’un mouvement très difficile ? Avez-vous déjà entendu un quelconque compétiteur CF dire, « J’arrive vraiment pas à faire des KB swings » ? (pas de blagues sur AJ Moore 3)
S’il y a un mouvement qui vous pourrit la vie, c’est sans doute les muscle-ups, les HSPU, la marche sur les mains, etc. À moins de travailler ces mouvements constamment, vous n’allez jamais vous améliorer. J’essaie simplement de combiner ces mouvements de manière intéressante afin que nous les travaillons sous tous les angles possibles (lestés, en série continue, en état de pré-fatigue, frais) et j’aime les réaliser de toutes les manières possibles et imaginables qu’on pourrait rencontrer en compétition (HSPU strictes/kipping, HSPU sur disques, HSPU sur anneaux, MU sur anneaux élevés, MU avec « turnout » (passage des anneaux dans le plan frontal en suspension), MU sur barre, etc.). Nous aurons déjà travaillé presque tous les mouvements possibles avant la compétition, et j’espère que nous aurons atteint un bon niveau.
– Met-cons
Je sais que vous adorez tous Murph, mais vous ne verrez rien de tel ici. D’ailleurs, si vous voyez passer quoi que ce soit qui dure plus de 12 minutes, c’est que je me suis planté. Pourquoi ?
Comme l’a dit et répété tant de fois Coach Glassman : « Toutes les adaptations positives découlent d’une intensité élevée ». Il est incroyablement dur de maintenir une intensité élevé pendant plus de 8 minutes, sans parler de plus de 12 minutes. En outre, et j’attache encore plus d’importance à ce point, quand on fait un WOD de plus de 12 minutes on fait généralement une chiée de réps. Une chiée de réps, ça veut dire une chose: vous avez des courbatures et votre corps se dégrade (bon, ça fait deux choses; d’autre part, vous êtes tous des entraîneurs, donc je vous passe les détails scientifiques). Lorsque votre corps se met à se dégrader, votre progression ralentit et vous commencez à perdre vos acquis en force. Sans parler du fait que la fatigue musculaire et les courbatures nuisent à la capacité de réaliser des mouvements de haut niveau, qui forment justement une grande partie de ce programme. Je suis de très près le nombre de répétitions (dans les met-cons… lourd – léger – secondaire – poussée – tirage) que nous réalisons chaque semaine et j’utilise plusieurs tableaux que Louie Simmons utilise aussi depuis des années, et qui ont été élaborés par certains des plus grands entraîneurs et préparateurs physiques européens de l’histoire.
C’est sans doute, selon moi, l’élément le plus important de l’équation. Je dois avouer que je me suis écarté de ce principe lorsque j’ai préparé Becky et Brandon pour les Games l’an passé et je pense qu’ils en ont pâti. Brandon m’a remis sur le droit chemin après les Games, et au vu des chiffres que nous avons pu voir au cours des quelques derniers mois, il a eu parfaitement raison. Voici ce qu’il faut que vous ayez en tête: vous êtes déjà en super forme. Vous n’avez pas besoin d’être passés au rouleau compresseur tous les jours pour progresser en tant que compétiteurs CrossFit, mais il faut en revanche que vous soyez capables d’aller À FOND sur des durées courtes à modérées tout en restant aussi efficaces que possible.
Auteur: Rudy Nielsen, propriétaire et entraîneur en chef de Outlaw CrossFit, créateur de la méthode « Outlaw Way ».
1. Brandon Phillips a participé trois fois aux CrossFit Games (11e en 2010, 31e en 2011 et 42e en 2012) et est entraîné par Rudy Nielsen.
2. Haltérophile, entraîneur et auteur américain, ancien recordman du monde.
3. Compétiteur CF qui s’est vu refuser une soixantaine de KB swings lors d’une épreuve des Regionals de 2011.
Traducteur: Macmac